Fils d’une famille d’ouvriers, son père travaille chez un négociant en coton et sa mère fait parfois de la cuisine dans des cantines, Roger DOCAIGNE a un jeune frère et une soeur aînée, dont le mari est captif dans un Stalag en Allemagne.Particulièrement repéré pour ses qualités scolaires, il est poussé vers les études par les enseignants et après le lycée se prépare à un diplôme d’ingénieur et des études de mathématiques supérieures.
Quand la guerre survient il sait que l’appel de sa classe d’âge sous les drapeaux va interrompre ses études et cherche en attendant son départ, un travail dans
l’enseignement.
Finalement incorporé en novembre 1939, il suit un parcours d’officier du génie puis d’officier de réserve. Il est d’abord à Angers, puis à Versailles dont le centre de formation se replie à Rabasten dans le Tarn. A la fin de sa période de
formation comme officier, le grade de lieutenant lui est refusé avec le motif « doit apprendre à obéir avant de commander ». On verra plus loin ce qu’il en sera.
Patriote il n’admet pas que la France ait été vaincue et occupée. Il ne supporte pas les mesures qui frappent les juifs. Il tente un passage pour l’Algérie par Sète, puis un départ avec des aviateurs de Chateauroux vers l’Angleterre, et fait une tentative avec des camarades de rejoindre les troupes canadiennes débarquées à Dieppe. Ces trois pistes sont trois échecs.
Finalement avec ses amis havrais René PERROCHON et Jean NOYE, ils trouvent une filière pour se joindre aux maquis de « l’organisation Prevost », à Tréminis dans
l’Isère où il est le bienvenu, car sa formation d’officier même si elle ne s’est pas conclue par le grade correspondant est une richesse pour la formation des recrues du maquis. Comme on l’a vu ce maquis est attaqué par les Allemands le
19 octobre 1943 et avec les autres survivants de ce maquis il parvient à rompre l’encerclement et se retrouve à Cordéac, d’où l’organisation lui demande de partir en Maurienne au maquis d’Albiez le Vieux afin de participer à son
encadrement.
Charles Carraz décrit son arrivée en hiver dans les maquis de Maurienne ainsi :
« j’avais beaucoup d’estime pour ceux qui arrivant de la plaine en chaussures de ville s’adaptaient à nos montagnes enneigées. Ce chef, le lieutenant Docaigne (Girardin), futur commandant du 4éme bataillon AS de Maurienne, rencontré
début février, glissant d’un pied, celui où sa chaussure avait encore sa semelle, pas de l’autre parce que là, c’était la chaussette qui touchait la neige ».
En Maurienne, sous le pseudo de lieutenant Girardin, au fur et à mesure des circonstances il monte en responsabilités, encadre d’autres groupes et participe à l’organisation des parachutages, des répartitions d’armes, des sabotages et des combats.
C’est lui qui donne l’ordre de mobilisation générale aux maquisards de son secteur et leur remet dans une forêt, lors une cérémonie à la fois secrète et symbolique les brassards FFI qui remplaceront les uniformes dont ils sont dépourvus. Cette mobilisation leur permet d’engager les combats de la
Libération qui vont couter si cher aux nazis et à leurs collaborateurs.
Après une trêve commencée le 27 août, imposée par les nazis qui demandent de pouvoir s’enfuir en Italie sous la menace de mettre à feu et à sang toute la Maurienne, constatant que les fuyards ne respectent pas leur parole, d’épargner la population locale, c’est lui qui donne l’ordre de rependre le combat le 2 septembre dés qu’il est miraculeusement libéré de sa détention comme otage.
Lors de la phase finale de la bataille sur le territoire de la France, dans la libération de Modane, le six septembre, il est gravement blessé par un éclat de mortier au genou et au poignet. A ses côté est blessé aussi par les mêmes tirs de
mortiers, un autre responsable du maquis, Florimond GIRARD, savoyard de souche, qui deviendra ensuite le maire de Saint Jean de Maurienne. Secouru par des
maquisards et des courageuses infirmières du maquis il est évacué pour être soigné.
A l’hôpital on indique à Docaigne/Girardin qu’il faut l’amputer de la jambe, ce qu’il refuse. Il restera cependant toute sa vie gêné par cette blessure. Il sera inhumé à 80 ans avec un autre éclat de projectile de mortier dans le bras.
Pendant la bataille de Modane il a commandé trois compagnies du maquis, soit un bataillon entier, sous le nom de bataillon Girardin, c'est-à-dire plusieurs centaines de maquisards de l’Armée Secrète, sur le versant sud de la montagne, tandis que les Tirailleurs Marocains débarqués en Provence avec les Forces Françaises Libres, et les Francs Tireurs et Partisans de France avancent sur le
versant nord, renforcés par une compagnie venue de Tarentaise.
Les Allemands en fuite évacuent par le tunnel du Fréjus en direction de l’Italie non sans en avoir fait sauter l’entrée. La Maurienne est libérée, mais les troupes du Reich on
mit le feu partout dans les villages, ont massacré les populations, pillé.
(On peut noter la coïncidence des dates de Libération du Havre et de Modane,, toutes deux finalisées le 13 septembre 1944.)
Des centaines de maisons et fermes avec leurs stocks de fourrage pour l’hiver, ont été détruites sur la route de la Maurienne vers l’Italie par les nazis en débandade, des milliers de bétails on été décimés et volés, comme ont été volés tous les moyens de transports disponibles. Les sbires d’Hitler et consorts ont détruit tout le tissu économique de la vallée, dynamitant les usines au fur et à mesure de leur fuite. Comme d’habitude ils ont aussi semé la mort dans la Maurienne tuant sans raison des habitants dans tous les villages dans leur rage de voir toute la vallée se lever contre leur oppression.
Pour la suite, les compagnies et bataillons de maquisards sont incorporés à l’armée Française et reconstituent les bataillons de chasseurs alpins. Beaucoup signent un « engagement jusqu’à la fin de la guerre » pour poursuivre la destruction de régime nazi.
Roger DOCAIGNE, qui devait « apprendre à obéir avant de commander », reste un certain temps dans l’armée à Grenoble libérée, alors que sa blessure se guérit. Il sera décoré de la Croix de guerre et de la Légion d’Honneur au titre de la Résistance.
Il terminera sa carrière militaire comme Lieutenant-colonel de réserve.
A Grenoble il épouse Denise COQUIN qui devient Denise DOCAIGNE. Ensemble ils auront cinq enfants, qui tous seront choyés par la famille PERROCHON. Annette Perrochon, la soeur de René sera la marraine de l’aîné de la fratrie.
Il rejoint enfin le Havre puis suit les cours de l’ENA, en 1947/1948, (il est certainement le premier énarque havrais), qui vient d’être crée à Paris, avec parmi ses objectifs de former des hauts fonctionnaires capables de remplacer ceux qui avaient collaboré ou s’étaient compromis avec le régime de Pétain.
Il intègre la promotion Croix de Lorraine. Les premières promotions étaient composées uniquement de Résistants. Pour cela la famille déménage à Versailles. Par la suite il dédia toute sa carrière au service de l’Etat du Ministère des Finances au début à celui de la Santé et des Affaires Sociales ensuite. Son épouse, quand elle en eut enfin le temps, ses cinq enfants ayant grandi, se mit aussi au service du pays en développant ses talents au service des « Ponts et Chaussées », à Versailles.
Longtemps après la fin de cette période de guerre les Mauriennais se souviendront de lui et lors de son décès, en 1999, le journal le plus lu dans la Savoie, « le Dauphiné Libéré » rappellera sa mémoire en rédigeant un article d’une demi page sous le titre « le lieutenant Girardin n’est plus ».
Conclusion qui n’en est pas une…
Quand vous passez par le Trièves, en Isère ou la Maurienne, en Savoie, pour allez skier, ou vous y promenez l’été, amis Havrais souvenez vous de ces Havrais vous y ont précédé, dans des circonstances qui méritent votre respect.
Thierry DOCAIGNE