René MOTIN, 17 ans au début de la guerre

Six Havrais au maquis dans les Alpes, Thierry Docaigne

On ne trouve pas non plus beaucoup de traces de ce Résistant dans les livres que j’ai pu me procurer.

En effet « les combats en Maurienne » ne parlent que de la

libération de la Maurienne et de la période août septembre 1944. Or René MOTIN était déjà prisonnier des nazis à cette époque et comme la guerre avait encore lieu lors de l’écriture de cet ouvrage, on comprend que personne ne se soit étendu sur sa situation.

Le 10 mars 1948, Roger DOCAIGNE signait une attestation

qui figure dans les archives de la FNDIRP du Havre et dont la copie m’a été remise, par l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT et qui m’a permis d’en savoir plus sur ce Résistant. Dans « le visage des martyrs » l’hommage à René Motin est dépourvu de photo, car l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT malgré ses recherches n’en a pas trouvée.

Né le 1er juin 1922 à Sanvic, décédé le 20 janvier 1945 en Allemagne dans l’annexe du camp de Neuengamme, Kaltenkirchen. Il était visé par le STO et a préféré rejoindre le maquis pour ne pas donner sa force de travail aux nazis.

 

Voici un extrait de l’attestation dont il est question plus haut :

« Le 4 janvier 1944 il entre en contact avec le maquis d’Albiez le Vieux pour y servir comme volontaire. J’ai eu René Motin sous mes ordres jusqu’à sa capture par la Gestapo, survenue

le 27 mai 1944 à l’hôtel Armand à Saint Jean de Maurienne. Il était porteur d’une carte d’identité au nom de Marchand, son pseudonyme. Il accompagnait alors mon adjoint au camp d’Albiez, le lieutenant FFI René Moser et a été

capturé avec cet officier. …descendus à Saint Jean de Maurienne dans le but d’atteindre un des membres de la Gestapo qui préparait une attaque contre le maquis….Le lieutenant Moser et le jeune Motin étaient armés de pistolets Remington…

Le jeune Motin qui s’était toujours distingué par un grand sang-froid, avait participé à plusieurs actions notamment :

Fin avril, sabotage de l’usine d’aluminium AFC à St Jean de Maurienne.

1er mai réception d’un parachutage à la Toussuire.

Début mai convoyage d’armes extrêmement dangereux par la traversée de St Jean de Maurienne…

L’arrestation de ces deux résistants n’a fourni à la Gestapo aucun renseignement supplémentaire, car ils ont su ne pas parler malgré les sévices.

Après avoir été emprisonnés à St Jean de Maurienne et à Chambéry, ils ont été déportés à Neuengamme. »

 

Sur la déportation de René MOTIN, arrêté le 27 mai 1944 emprisonné à Saint Jean de Maurienne puis à Chambéry, on sait qu’il fit partie du convoi de 1247 personnes le 15 juillet 1944, parti de Compiègne Royallieu qui arrivera le 18 juillet à Neuengamme, où il reçu le matricule 36935. La rapidité de son transfert n’est certainement pas sans rapport avec le besoin de main d’oeuvre du Reich et le débarquement du six juin 1944 en Normandie.

Son camarade René MOSER qui est revenu de ce camp et a eu la chance de ne pas être sur un des bateaux bombardés pas l’aviation alliée qui ignorait qu’ils transportaient des déportés, est décédé un an plus tard des suites des privations endurées, pensant que René MOTIN était mort dans le naufrage d’un de ces bateaux, il en fit part à Roger DOCAIGNE  lorsqu’il lui rendit une visite à Nice, après sa libération et son retour, et c’est ce qui explique que ce dernier en est aussi resté persuadé jusqu’à son décès.

 

L’ancien Maire du Havre André DUROMEA fait une description épouvantable des conditions de survie dans cet enfer cauchemardesque dans les pages 117 à 178 de son livre « la Résistance, la Déportation… Le Havre ».

Le camp de Kaltenkirchen était une annexe du camp principal de Neuengamme en Allemagne et y ont travaillé jusqu’à 800 prisonniers à la prolongation d’une piste d’aviation pour des nouveaux avions de guerre du Reich qui avaient besoin de plus de distance pour s’élancer. Le terrassement de cet espace fut imposé dans des conditions inhumaines à des déportés qui y laissèrent leur vie. En

particulier il y eut dans les périodes de grands froids une mortalité

supplémentaire car les nazis utilisaient aussi cette main d’oeuvre gratuite pour des travaux de déneigement des pistes.

Les actions auxquelles le jeune MOTIN a pris part dans le maquis :

- Sabotage de l’usine AFC, réception de parachutage, transferts d’armes. Le sabotage de l’usine AFC, dont l’objectif était de ralentir la production de l’aluminium utile à l’effort de guerre allemand. Il fallait ne pas rendre l’usine

inutilisable définitivement car les ouvriers auraient été embarqués pour le STO, mais en revanche paralyser la fabrication. Il fut décidé de couper l’alimentation

du courant pour que l’alumine se fige dans les cuves.

Fin mai 44 des maquisards armés et masqués entrent dans l’usine, mettent en joue le concierge qui était réputé ne pas avoir de sympathie pour les maquis, coupent le téléphone, rassemblent les ouvriers, coupent le courant d’une cuve

par série et font remplir les autres d’alumine, pendant que d’autres ferment la vanne de la conduite forcée pour arrêter les turbines. Une heure plus tard les « terroristes » repartent dans leurs montagnes.

L’opération avait bien marché, la production fut ralentie ; mais pas assez. Le courant ne tomba que de 50000 à 5000 ampères, et alerté par la coupure du téléphone quand il se réveilla la nuit le directeur fit remettre tout en marche.

- La réception du parachutage de la Toussuire, tant attendue eut lieu à la fin avril.

Le message de la BBC était enfin arrivé « amusement des enfants tranquillité des parents ».

Une quinzaine de maquisards partent pour la Toussuire qui est le terrain reconnu. Les feux de balisage sont allumés, un avion largue sa cargaison assez loin du point convenu, les recherches débutent, et c’est seulement au petit matin que les containers sont découverts. Les toiles des parachutes sont pliées enterrées, le gazon enlevé par plaque est reposé pour camoufler. Le matériel est soit planqué soit transporté aussitôt, et enfin les maquisards peuvent essayer et s’entrainer avec leur nouveau matériel…puis se lancer dans des actions armées comme la paralysie d’usine en attendant l’ordre d’engager la bataille libératrice.

(Les deux pistolets Remington avec lesquels René Motin et René Mosser ont été arrêtés proviennent de ce parachutage).

Le transport de l’armement reçu n’était pas un travail de tout repos, les maquis étaient disséminés le long de la vallée de la Maurienne et les troupes nazies effectuaient d’incessants contrôles et barrages mobiles ou fixes, scrutant particulièrement les transports en commun, cars ou trains qui pouvaient receler des individus qui n’avaient pas envie de « kollaborer », et même souvent avaient plutôt envie de leur nuire. Donc ce n’était pas tout d’avoir réussi à recevoir du matériel encore fallait-il le repartir.

 

Charles Carraz dans son livre « La Résistance dans le village, Montricher 1940 1945 » décrit avec précision les conditions d’un transport d’armes dans le secteur, et là on comprend mieux qu’il valait mieux avoir l’étoffe d’un héros.

De plus le manque d’armes dans les maquis rendait les partages difficiles pour ceux qui les cédaient et pour ceux qui les recevaient, au point que dans « Totor chez les FTP » l’abbé More, chef du maquis de Beaune, au dessus de Saint Michel de Maurienne parle de négociations « écoeurantes».