page créée le 22 juin 2020
Remerciements à Madame Brigitte Garin, à Gaël Crevel, et Jean-Paul Nicolas (Maitron).
Raymond GUENOT, né à Versailles (78) le 10 septembre 1914, résidant au Havre, avait été mobilisé en 1939-1940 comme caporal au 22e R.T.A. Blessé le 31 mai 1940 à Lille, il s'évade de l'hôpital de Belgique où il était soigné.
Il revient au Havre où il travaille comme étalagiste décorateur au magasin Vaxelaire rue de Paris. Il loge alors chez Madame Gélin, 18 rue Théodore Maillard.
Il commence des activités de résistance en facilitant l’évasion de ses anciens camarades de captivité : il reproduit sur gomme à effacer tous les cachets des laissez-passer de l’occupant allemand et fait parvenir de faux papiers par colis destinés aux candidats à l’évasion des Stalags.
Recruté par Maurice Frémont en novembre 1941, il intègre le Groupement de Résistance Générale dirigé par Gérard Morpain et Henri Chandelier (G. Morpain étant en prison à ce moment-là).
En 1942, Raymond GUENOT pousse la porte du studio photo de Gilbert Fernez, ainsi que le raconte son fils Francis, 14 ans à l'époque, dans "Le casque anglais" (3)...
La famille Fernez
"C'est alors qu'un homme vient bouleverser notre vie familiale. Un jeudi matin je vois entrer au magasin un homme blond, élancé, maigre même, comme il se doit de nos jours. Il a été blessé au visage, car une très légère cicatrice demeure et de temps à autre, un reniflement léger lui est nécessaire pour assurer sa respiration. Je le trouve... étrange, avec un regard dur, presque impérieux, noble en fait, qui contraste avec la blouse blanche dont il est vêtu. Il est prosaïquement étalagiste chez Vaxelaire, rue de Paris, et désire rencontrer mon Père.
C'est Raymond Guenot.
Ainsi frappe le destin à notre porte. Depuis longtemps il observe mon Père, a jugé qu'il était homme de confiance (...)
Raymond GUENOT proposa donc à Gilbert FERNEZ d'être photographe pour " L'Heure H " afin de maquiller les photos des ausweis. Nanti du sien, et vêtu en marin, Raymond GUENOT put se rendre sur le port et y collecter des renseignements. Cependant, rien ne corrobore dans les archives que Raymond GUENOT, selon la légende photo ci-dessous, ait procédé au sabotage d'un ravitailleur d'essence...
Le Havre 1936- 1944. Le casque anglais par Francis Fernez
Depuis le mois de janvier 1942, Raymond GUENOT qui avait rencontré Roger Mayer, devient fondateur et animateur du journal clandestin L'heure H qui donnera son nom au réseau Havrais et dont Roger MEYER trouve l’exergue : « Toutes les heures blessent, la dernière tue ».
Raymond GUENOT est nommé chef de groupe et dirige une trentaine de personnes.
Il se ravitaille en papier chez M. Simon, éditeur à Paris.
En plus d'imprimer le journal L'Heure H, l'imprimerie de la famille CHOSSAT, sise près de la Bourse, fournit le papier nécessaire aux tracts.
Le Havre 1936- 1944. Le casque anglais par Francis Fernez
Raymond GUENOT écrit dans l'Heure H sous le pseudonyme de Jean Hergé (RG...) tandis que Roger MEYER publie sous le nom de Paul D. Jardin. Raymond recruta Anita Gélin (professeur de lettres, fille de sa logeuse), comme journaliste.
Comme le souligne Brigitte Garin (1), grâce à sa diffusion intensive... " L'Heure H "contribua lentement au retour des sentiments patriotiques des Havrais. Face aux mensonges de Vichy, les articles rétablissaient la vérité. (...). Accusant les "terroristes" d'épauler les Anglais coupables de tous les maux, y compris de la mort de Jeanne d'Arc, Pétain et sa clique rendirent hommage à la Pucelle.
Jean Hergé consacra un article à l'évènement :
"Aucun scrupule ne vient troubler nos salopards. Il s'emparent de Jeanne et se camoulfent derrière son étendard. Ce qu'ils oublient ces sinistres individus, c'est que la Sainte ne lutt pas contre l'Anglais
"parceque c'était l'Anglais". Non, si elle entreprit cette campagne libératrice, ce fut pour chasser l'envahisseur du sol national, rien d'autre. Si nous avions vécu en ce temps là, nous aurions été avec elle contre l'Anglais. Aujourd'hui l'envahisseur est Allemand, et si Jeanne vivait, elle serait avec nous contre le boche" (...).
Raymond GUENOT utilisa sa camionnette pour apporter tracts et journaux aux responsables communes avoisinantes. Son véhicule servit également au transport d'armes et de munitions (Brigitte Garin,1).
Source Gallica - Bibliothèque Nationale
En 1943, avec l'accord de Roger MAYER, Raymond GUENOT décide d'infiltrer le parti collaborateur du Rassemblement National Populaire (R.N.P.) de Marcel Déat, dont il arrive à devenir président du comité régional du Havre : ceci lui permet d'approcher des hauts gradés allemands et d'en tirer des informations.
Selon Francis Fernez : " Les responsabilités de Guénot au sein du groupe Doriot lui font recevir par semaine environ 60 lettres de dénonciations.
Untel est gaulliste, untel est juif, untel est franc-maçon !! Raymond est pris au piège car il est le seul responsable doriotiste à ne pas donner suite à ce courrier infâme. Il trouve une solution : il dénonce comme suspects des Kollabos notoires, le temps que cela remonte à Paris et que cela redescende à la Gestapo ! il fréquente le fameux Ackermann, lui fournit des tuyaux crevés et traite les dénonciations reçues de Paris par le mépris. Mais que c'est risqué tout cela !!"
La promulgation le 16 février 1943 de la loi instituant le Service Obligatoire du Travail (STO), toucha les jeunes engagés dans le réseau L'Heure H, et l'activité de Raymond GUENOT et de son graveur LE BORGES redoubla en conséquence. Début 1943, Raymond GUENOT monta un véritable service de confection de faux-papiers allemands ou français pour les réfractaires au STO comme pour les Israélites. Une trentaine de camarades s'activèrent sous ses ordres et contribuèrent à sauver bien des personnes au Havre comme en région parisienne. La perfection des papiers, et en particulier des cachets allemands fabriqués par "M. Raymond" et Anita Gelin, était telle qu'ils parurent authentiques aux Allemands (Brigitte Garin,1).
Brigitte Garin témoigne également dans son livre de l'accompagnement que Raymond GUENOT fournit aux patriotes en danger d'arrestaion pour les placer chez des fermiers amis, en Seine Inérieure et dans le Calvados.
En 1943, Raymond GUENOT entra en contact avec Maurice LEGALLAIS, chef d'agence au Havre du réseau Marathon.
Raymond Guenot, Archives Municipales
Selon Francis Fernez... "Ce soir, il attend le Père qui développe ses plaques ; moment de calme, je m'enhardis : - Dites-moi Guénot, le verrons-nous un jour ce Débarquement ? Guénot devient fort riste : - Tu le verras, toi, sois en certain. - Pourquoi dites vous cela ? - Parce qu'à présent, un chef de réseau ne tient pas un an. Cela se dénonce de trop".
Le double jeu de Raymond GUENOT, extrêmement dangereux pour des raisons évidentes, ne manquait pas d’ambiguïté vis-à-vis de la résistance havraise.
Au mois de juillet 1943, un employé du magasin Vaxelaire trouva un courrier dans une boîte à lettre clandestine que Raymond Guénot avait fixée dans un couloir de l’immeuble du magasin où il travaillait. Ce courrier parvint à la police française puis aux autorités allemandes.
Le 22 juillet 1943, à l’aube, les autorités allemandes firent irruption au domicile de la famille Gélin : Raymond GUENOT qui revenait d’un congrès du RNP fut arrêté « pour détention d’armes, aide à l’ennemi, falsification et fourniture de cartes d'identité » ( Maitron, B. Garin).
Francis Fernez... "Quelques semaines plus tard, alors que la soldatesque défile sous nos fenêtres en chantant comme d'habitude, "Erika", une femme inconnue entre en pleurs dans le magasin : "Ils ont eu Guénot", et s'enfuit.
Choqués, vidés, sans forces, nous pensons à ce qu'il endure. Il a du paludisme, et c'est en pleine fièvre que la police allemande est venue le ramasser : épuisé, il n'avait pas eu la force d'écouler un paquet d'Heure H posés sur sa table de nuit. Les salauds vont le torturer ! l'évidence s'impose à nous, effrayante, s'il parle, nous y passons tous, Madame Chossat, ses fils, le graveur et nous quatre !!!. Les jours passent... Rien, Guénot ne parle pas.
L'attente est lourde, puis nous apprenons l'horrible nouvelle : "ils" l'ont fusillé".
Détenu au secret dans une cellule spéciale à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen, Raymond Guénot fut condamné à mort par le tribunal militaire allemand de Rouen (FK 517) le 26 octobre 1943.
Au cours de son emprisonnement, son groupe tenta à trois reprises de le faire évader. Lors de la troisième tentative, le 1er novembre 1943, ses hommes arrivèrent trop tard : Raymond GUENOT, 29 ans, venait d'être fusillé le matin même, au stand de tir de la prison du Madrillet au Grand-Quevilly.
Ses camarades parvinrent à trouver sa tombe pas encore refermée au cimetière Saint-Sever (Maitron).
Dans une opération risquée, Yves LE DU, membre du réseau Saint-Jacques, ramena le corps de Raymond GUENOT de Rouen au Havre, afin qu’il puisse obtenir une sépulture décente au cimetière Sainte-Marie [4]. Il repose aujourd'hui dans le carré militaire.
Le Havre 1936- 1944. Le casque anglais par Francis Fernez
Durant son internement, Raymond GUENOT réussit à faire passer par des prisonniers de Bonne-Nouvelle un testament politique, adressé à son ami Jean Guibert.
Cette lettre manuscrite fut ensuite tapée à la machine en plusieurs exemplaires et diffusée par Roger MAYER dans un article à la une du journal l'Heure H.
Copie originale retrouvée dans les archives de la famille d' Aldric Crevel
Crédit : Gaël Crevel
Distinctions : nommé sous-lieutenant à titre posthume en 1947 - Chevalier de la Légion d'Honneur - Médaille de la Résistance avec rosette - Coix de guerre avec étoile de vermeil..
Il a été homologué membre des FFC et membre du réseau Hamlet Buckmaster en tant qu'agent p2.
Mémoire : son nom est inscrit sur le Monument Résistance et déportation au Havre - Rue Raymond Guenot au Havre - À Villeneuve-Saint-Georges (Seine, Val-de-Marne) où sa famille habitait rue de Paris, son nom a été gravé sur la stèle commémorative aux résistants villeneuvois fusillés par les nazis et une rue porte son nom.
Malgré l’arrestation de Raymond GUENOT, les membres du réseau et du journal L’Heure H continuèrent leurs actions grâce à la fusion avec le réseau SOE Buckmaster Hamlet-Salesman durant l’été 1943, dont Roger MAYER fut désigné le représentant au Havre.
Collectif Havrais en Résistance(s)
SOURCES
1 - Une famille normande dans la tourment nazie. Vie et mort du réseau de résistance Salesman. Brigitte Garin, Wooz éditions, 2020.
2 - Biographie établie par Jean-Paul Nicolas sur le site du Maitron
3 - Le Havre 1936- 1944. Le casque anglais, Francis Fernez. Editions Bertout, 2004
4 - Entretien avec Nicole Prigent, fille de Yves Le DU, 2015
Dossier Résistant au SHD de Vincennes : GR 16 P 274433