FRANCE AVANT TOUT

 

USINE MULTIPLEX  LE   2 SEPTEMBRE 1944 

 

Jules DELAMARE  Eugène  LANDOAS

Marcel ROUGEAULT

Source : univ-lehavre.fr

Tous nos remerciements

A Xavier Bocé, arrière petit-neveu de Jules Delamare.

A Françoise Amiel pour la transcription du rapport de police 

   

    Alors que Paris est libéré depuis le 25 août et Rouen depuis le 31 août 1944, Le Havre est un camp retranché qui renferme 3000 marins et 9000 soldats allemands sans échappatoire, avec 45000 civils. La ville est une souricière, vaste presqu’île dont la sortie est bloquée par les troupes anglo-canadiennes.

 

La journée du 2 septembre se situe juste avant les bombardements apocalyptiques qui mirent Le Havre à feu et à sang et furent suivi le 10 septembre par l’offensive finale des Alliés qui libéra les habitants d’une ville dont on avait littéralement fait table rase.

 

Ce 2 septembre, quatre FFI appartenant au Groupe France Avant Tout, sont volontaires pour une opération qui doit se produire à l’usine de fabrication de contreplaqués et agglomérés Multiplex, située dans la zone portuaire (187 boulevard Jules Durand).

 

On ignore précisément la nature de cette mission : s’agissait-il d’une action de sabotage ou plutôt de récupération d’armes – peut être des torpilles, comme le laissera entendre après la guerre un témoin allemand … (2).

 

A 46 ans, Jules DELAMARE, métallurgiste lamineur, titulaire de la croix de guerre 14-18, blessé en 1918, a déjà une antériorité dans la Résistance : comme Marcel ROUGEAULT, 22 ans, il appartient aux FTP du Havre depuis octobre 1941.

 

Jules Delamare - Crédit : Maitron

 

En revanche, Eugène LANDOAS, plombier de profession âgé de 27 ans, semble recruté tout récemment dans le Groupe France Avant Tout, tandis que le quatrième homme qui les accompagne, Marcel URBAN (23 ans), y fait ce jour-là ses premières armes.

 

Eugène Landoas - Crédit : Maitron

 

Ils se sont donné rendez-vous à proximité de l’usine, non loin du domicile de Jules DELAMARE (rue Charles Martin), dans le café du père de Marcel ROUGEAULT, où Marcel URBAN leur remet des armes. La presse de mai 1949 relève que ce café était très fréquenté par les Allemands, sans qu’un lien quelconque ait pu être établi avec les évènements qui allaient suivre.

 

Les quatre hommes se dirigèrent ensuite vers l’usine Multiplex… nul ne devait les revoir sans connaître précisément quel avait été leur sort.

 

Des témoins clients du café indiquèrent tardivement qu’ils avaient entendu des coups de feu tirés à l’entrée de l’usine.  On se douta qu’ils avaient été fusillés, mais la vérité ne fut révélée qu’en 1949, selon le compte-rendu d’interrogatoire d’un témoin allemand présent dans l’enceinte de l’usine lors de l’irruption des FFI (2).

 

En effet, le frère de Marcel Rougeault, inspecteur de Police, à l’époque secrétaire du commissaire de police de Fribourg, s'était mis à la recherche de  la sentinelle postée à l’entrée de l’usine le 2 septembre :  il avait fini par retrouver Georg Herberick, qui était lors détenu dans un camp de guerre.

 

Témoignage de Georg Herberick

 

Landpolizei

De Haute Franconie et Franconie centrale                                                          Lauf/Pegnitz

Service de police criminelle 

de Lauf/Pegnitz    

               Le 24/11/1948               

 

PROCES VERBAL D’INTERROGATOIRE

 

Convoqué, mis au courant et exhorté à dire la vérité, Georg HERBERICH a déposé comme suit :

 

I° - Au sujet de sa personne 

 

HERBERICH Georg, né le 26/11/1907 à Toning, Kreis, Eiderstedt, Silésie Holstein, fils de Otto Herberich et de Karoline née Claussen, de nationalité allemande, marin de profession, marié avec Olga Maria Schneider, père de deux enfants âgés de 15 et 13 ans, affirme n’avoir pas subi de condamnation antérieure, est actuellement sans travail, sans ressources.

 

II° - Au sujet de l’affaire

 

Pendant la dernière guerre j’étais mobilisé dans la marine. En 1944 j’étais affecté à la compagnie de garde du port du Havre. de juillet au début de septembre 1944, j’étais chef de la garde aux torpilles N° 111. Notre corps de garde se trouvait sur le terrain de l’usine Multiplex tout à côté de l’entrée principale. Notre service consistait à assurer la garde du dépôt de torpilles qui se trouvait sur le terrain de l’usine Multiplex.

La sécurité de la région était gravement menacée par les terroristes. Je fus avisé de ce danger par notre chef de section le Lt GOTHERS. Si je ne m’abuse, GOTHERS état originaire de Munster (Westphalie), j’ignore son adresse actuelle. Le 2/9/1944 le service de garde se composait de 14 hommes environ. Je ne me souviens pas de leurs noms car ils étaient presque tous les jours remplacés par d’autres.

 

Le 2/9/1944 vers 21 heures, j’entendis du corps de garde, une fusillade dans la rue. En même temps j’entendis crier quelqu’un : « Gardes à vos postes ». Je ne quittais cependant pas le corps de garde. De la porte du corps de garde je vis alors quatre civils pénétrer sur le terrain de l’usine. L’un d’eux repartit aussitôt et des coups de feu furent tirés dans sa direction. Les autres trois civils furent conduits au corps de garde. On sut alors que ces trois civils avaient été pris et arrêtés par une ronde composée de 7 hommes et commandée par l’oberfeldwebel Herman PORSCH.

Sans m’adresser la parole, PORSCH se dirigea vers le téléphone et mit au courant le seekommandant. Il lui annonça qu’il avait arrêté trois terroristes et lui demanda ce qu’il devait en faire. Il reçut l’ordre de fusiller ces terroristes sans interrogatoire et sans perdre de temps. J’ai vu Porsch enlever aux trois civils français le pistolet qu’ils portaient sous leur chemise.

Ensuite Porsch fit sortir les trois civils du corps de garde et immédiatement devant celui-ci et sur le terrain de l’usine Multiplex il les a abattus d’un coup de pistolet. J’ignore les noms de ces Français. Je sais seulement que parmi eux se trouvait le fils d’un cafetier établi aux environs de l’usine. Les trois cadavres sont restés dans la cour de l’usine jusqu’au lendemain midi. Ensuite ils [ont été] enterrés par des hommes du service des torpilles dans une sablière située à côté de l’entrée centrale, à l’intérieur de l’enceinte de l’usine.

 

Autant que j’ai pu savoir les terroristes Français avaient l’intention de désarmer le service de garde et de s’emparer des torpilles déposées sur le terrain de l’usine Multiplex. Dans ce but un camion était venu s’arrêter devant l’usine, à proximité du corps de garde, près d’un café. Près du camion se tenaient 15 à 20 Français qui portaient des casques d’acier lisse. Je crois que les 4 Français ont été surpris et arrêtés par la ronde de Porsch, devant la porte d’entrée au moment où ils voulaient pénétrer dans le corps de garde.

 

En ce qui me concerne je n’ai pas été mêlé à l’exécution des 3 Français. Comme je l’ai déjà dit, ils ont été pris en état d’arrestation par la ronde militaire commandée par Porsch. C’est lui qui les a mis à mort par ordre du seekommendant.

Les personnes suivantes seraient susceptibles de servir de témoins :

1° - Le Lt Konrad GITERS, ayant été domicilié à Munster (Westphalie), où son père était professeur.

2°- L’oberfeldwebel Herman PORSCH, ayant été domicilié  probablement à à Soest (Westphalie) ou environs. Prisonnier en Angleterre il aurait été libéré assez rapidement.

3° - L’obergefreiter Wilhem HOCHGREVE, ayant été domicilié à GLUKSTADT, Holstein.

 

J’ignore les adresses actuelles des personnes ci-dessus. Quant à Hochegreve je l’ai rencontré en captivité en Ecosse au camp 19 (Hapenton). J’ignore à quel moment il a été libéré.

 

Je tiens à souligner que le nombre de Français arrêtés était de quatre mais que l’un d’eux a pris la fuite aussitôt. Par la suite le Lt GOTHERS a retrouvé ses chaussures sur le terrain de l’usine. En conséquence trois civils et non quatre ont été fusillés.

 

Vu et signé

Georg HERBERICH

Vu Stoll

Commissaire de Landpolizei

Copie et traduction certifiées conformes

Fribourg le 2 mars 1949

Le Commissaire de Police

Cachet : Gouvernement militaire en Allemagne

Contrôle de la sureté de Bade

 

Le Chef de la Brigade Nationale

 

     Ce compte-rendu comporte plusieurs informations capitales : l’opération se situe en soirée, vers 21 heures, et son but - qui aurait été de s’emparer de torpilles, est corrélé à l’observation d’un camion stationné près du café : « Près du camion se tenaient 15 à 20 Français qui portaient des casques d’acier lisse ». S’agissait-il de complices FFI de France Avant Tout ? portant des casques de la Défense passive ?

 

Cette interrogation est soulevée dans la mesure où Jean ROBINET, grâce à des complicités, entrainait ses hommes au sein de postes de la Défense Passive. Il n’est cependant aucunement fait mention de ces complices potentiels dans les comptes-rendus d’activité du Groupe.

Cependant, un second  témoignage indiqué plus bas indique que « des » volontaires avaient été requis pour cette opération qui ne semblait pas secrète… Ils ont donc pu être plus nombreux que les quatre hommes qui furent arrêtés et abattus.

Nous apprenons également que l’ordre d’exécuter les trois FFI relève de la responsabilité du « seekommandant » dont le nom n’est pas cité et ne figure pas dans la liste des témoins supplémentaires à rechercher…

 

Jules DELAMARE, Eugène LANDOAS et Marcel ROUGEAULT furent exécutés par les Allemands « pour tentative de sabotage ».

Il s’agit là des dernières exécutions avant les bombardements anglais des 5 et 6 septembre 1944 qui entrainèrent la reddition de l’état-major allemand.

 

Le compte-rendu de Georg Herberic permit enfin en 1949 de retrouver les corps des trois fusillés, enterrés dans l’enceinte de l’usine Multiplex.

Jules DELAMARE fut le premier à être abattu. Son corps a pu être identifié car les papiers d'identités qu’il conservait dans la poche supérieure de sa chemise, s’étaient imprimés sur son corps. Eugène LANDOAS avait reçu une balle en plein front. (3).

 

Jules DELAMARE avait été inhumé dans une nécropole militaire dans l'Oise,  avant  que le 2 mai 1949, en présence du Maire, M. Pierre Courant, de M. Messager, membre de France Avant Tout, et de nombreuses personnalités du monde de la Résistance, un service funèbre ne soit organisé en l’église Sainte Marie du Havre pour les trois FFI réunis, qui furent ensuite inhumés au cimetière Sainte Marie. 

 

Cortège funèbre jusu'à Sainte-Marie - Crédit photos : Christian Cadiou

 

Hommage à la stèle  édifiée 187 bd Jules Durand

La dame qui tient le bouquet est Janine, la fille de Jules Delamare

Elle est encore en vie et a actuellement 90 ans.

(Archives Xavier Bocé)

 

Le quatrième homme

 

     Marcel URBAN, blessé lors de l’arrestation, avait réussi à s’enfuir en sautant un mur. Il fut longtemps suspecté par la rumeur publique d’avoir trahi alors même qu’il avait été blessé lors de l’arrestation. 

Le livre Résistants de l’ombre (4), reproduit un long récit (anonyme) sur la période de la Libération. Ce FFI de France Avant Tout témoigne ainsi de la soirée du 2 septembre :

 

« Un soir on demande des volontaires pour accomplir une mission dans le quartier des usines, parmi ceux qui le connaissaient bien. Cette nuit-même je suis de garde à la porte lorsque je vois courir vers Franklin un homme chaussé d’espadrilles. « Ouvrez, c’est Marcel ! ». Je ne connais pas Marcel et c’est le pistolet sur le ventre que j’introduis ce civil. Hors d’haleine, il rentre seul de la mission vers les usines. Ils sont tombés sur une patrouille. Une balle a traversé son pantalon, lui éraflant la cuisse. Ses compagnons sont pris. Ce devait être le drame du Multiplex. Tous furent abattus.

Marcel était un jeune Lorrain, enrôlé de force dans l’armée allemande d’où il déserta. Non sans avoir accompli seul des sabotages. Il a rejoint la Résistance et par la suite je devais admirer son sang-froid et son courage ».

 

 

Comme de nombreux résistants du Havre, Marcel URBAN poursuivit la lutte après la Libération en s’engageant au 6e RIC.  Il fut tué en Alsace par explosion de mines le 1er avril 1945 à Strasbourg, avec André VOTTE, autre Havrais résistant, du Groupe Sappey. (5)

Sources

(1)  Site du Maitron 

(2)  Compte-rendu d’interrogatoire provenant du frère de Marcel Rougeault, inspecteur de Police et à l’époque, secrétaire du commissaire de police de Fribourg. Archives Xavier Bocé, arrière petit-neveu de Jules Delamare.

(3)  Archives presse  de Xavier Bocé, arrière petit-neveu de Jules Delamare.

(4)  Résistants de l'ombre : Résistance française, France Avant Tout, région du Havre. Jean-Charles Billet, 1997 (Archives Municipales, cote GUE099).

(5)   Marcel Urban. Cote SHD Caen : AC 21 P 165191

DELAMARE Jules Paul Sénateur

Né le 17/01/1898 à Sainneville, de profession métallurgiste lamineur

Homologué FFI - SHD Vincennes : GR 16 P 167573

FTP - Membre du 3e groupe du détachement du Havre en oct 41 - 1942 : membre du 4e groupe du  détachement  - 1943 : membre du 4e groupe du détachement - 1943 sept :  2e Cie FTP du Havre : membre du 4e groupe du 1er détachement - 1944 Cie de FTP du Havre  1er détachement : membre du 2e groupe -  1944 juin Cie de FTP du Havre  1er détachement : membre du 2e groupe  de la 1ère section FTP -  1944 15 aout Cie FTP du Havre membre du 4e groupe de la 1ère  section   (Anacr)

Médaillé Militaire à titre posthume (1949)

Mémoire : Monument Résistance et Déportation Le Havre - Rue Jules Delamare - stèle 187 bd Jules Durand

Archives Municipales : Cotes : 94Z155 - 115 Z14 - GUE099 (Résistants de l'ombre)

Maison des Syndicats :

Ordre de bataille du secteur FTP du Havre 41-44 Anacr

Le Visage des martyrs

 

LANDOAS Eugène, Jean  

Né le 09/03/1917 au Havre

Homologué FFI - SHD Vincennes : GR 16 P 335521

Cité dans la liste du dossier France Avant Tout. 1944 aout 25 : AD76 cote 3848w

Médaillé Militaire à titre posthume (1949) et Médaille de la Résistance à titre posthume (1962)

Mémoire : Monument Résistance et Déportation Le Havre - Rue Eugène Landoas à Tourneville - stèle 187 bd Jules Durand

Archives Départementales 76 : France Avant Tout : cote 3848 W

Archives Municipales :  fonds contemporain H4 - 15 - 2 (obsèques) - Cotes : 94Z155 - 115 Z 14 - GUE099 (Résistants de l'ombre)

Maison des Syndicats : Le Visage des martyrs

 

ROUGEAULT Marcel, Adrien, Alfred, alias Adrien

Né le 08/06/1922 au Havre

Homologué FFI - SHD Vincennes : GR 16 P 522422

FTP 1941 Détachement FTP du Havre – 1941 octobre : membre du 1er groupe - 1942 : membre du 2e groupe du détachement du Havre - 1943 : membre du 2e groupe du détachement - 1943 sept 2e Cie FTP du Havre : membre du 2e groupe du 1er détachement - 1944 Cie FTP du Havre : membre du 1er groupe du 2e détachement (Anacr)

Médaillé Militaire à titre posthume  (1949)

Mémoire : Monument Résistance et Déportation - Rue Marcel Rougeault - Stèle 187 bd Jules Durand

Archives Départementales 76 : France Avant tout 1944 : cote 8J4

Archives Municipales : cote 94Z155

Maison des Syndicats :

Ordre de bataille secteur FTP du Havre 41-44 Anacr

Le Visage des martyrs

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