Remerciements à Madame Marie-Pierre Pillet, Proviseur du Lycée François 1er
Philippe BOLIFRAUD né à Paris le 12 novembre 1921, fut
scolarisé au lycée de Garçons (François 1er) du Havre, de 1931 à 1933 (6ème-5ème).
Il intégra ensuite le lycée Jeanne d'Albret de Saint Germain en Laye (78) , tout comme Marco Menegoz, ancien élève du Lycée de Garçons, résistant fusillé en 1944.
Licencié en droit, diplômé de Sciences Politiques, Philippe s'engage en juin 1943 dans la France Libre en Tunisie.
Il est le jeune frère de François Bolifraud, Compagnon de la Libération, tué à Bir Hakeim le 11 juin 1942 lors de la Sortie de vive force.
Philippe est affecté à la 1ère Division française libre, sous-lieutenant à la 13ème demi-brigade de la légion étrangère.
Il est tué le 23 janvier 19445 à Elsenheim, pendant la campagne d'Alsace, en se portant à la tête de sa section pour arrêter une contre-attaque de char.
Témoignage de Domingo Lopez, engagé Uruguayen dans la France Libre, sur les combats d'Elsenheim
« On voyait qu’il se préparait quelque chose … Deux jours plus tard, l'offensive était lancée sur tout le front d'Alsace dans un grand effort final pour traverser le Rhin.v
A peine faisait-il jour quand se produisirent des attaques dans tous les secteurs. L'ennemi résistait avec fureur mais, bien que lentement et en faisant des trouées dans nos rangs, il céda le terrain.
Depuis que nous faisions la guerre, il nous semblait que nous n'avions pas vu de combats plus durs que ceux-là. Mètre par mètre nous arrivâmes à un Moulin où les boches laissèrent quelques-uns des leurs morts ou blessés. Ceux des mitrailleuses lourdes restèrent là pour appuyer l’avance de l’infanterie légère qui, avec la compagnie de mitrailleuses légères, irait à l'attaque du bois d'ELSENHEIM. Ils auraient à traverser une bande de terrain complètement plate d'environ 300 mètres. La 6ème Compagnie partit devant et lorsqu'elle fut à mi-chemin, elle fut surprise par le feu d'un tank qui, caché près de là, leur coupait le passage. Nos compagnons se jetèrent à terre, restant cloués au sol : pas un seul ne bougeait pendant que les projectiles tombaient au milieu d'eux faisant un véritable carnage.
Lorsque le feu cessa il y avait plus de trente vides dans la Compagnie. Mais ils ne s'arrêtèrent pas pour si peu et continuèrent en avant jusqu'à entrer dans le Bois et livrer un combat furieux contre les Allemands qui se défendaient depuis des casemates faites avec de gros troncs d'arbres.
Nous et l'artillerie nous tenions le bois sous notre feu, mais en réglant mal leur tir, les Artilleurs firent des coupes sombres dans nos rangs. Délogés de leurs positions les boches ne tarderaient pas à attaquer pour les reprendre et il était nécessaire d'envoyer la 5ème Compagnie pour les tenir. S'il est permis de dire une chose pareille « les hommes dans ce massacre tombèrent « par montagnes ».
Et le Commandant décida de se servir de tous ceux qu'il avait sous la main y compris ceux des bureaux et ce fut ainsi que l'Adjudant-chef Titena qui commandait notre section depuis que le Lieutenant Guerard était blessé. Il dit : "Ordonne aux hommes de ta section de prendre le plus possible de munitions pour les armes individuelles et de s'assurer de leur bon fonctionnement car dans un instant nous gagnons le bois pour aider les compagnies d'infanterie" Quelques minutes après nous étions en route.
Jusqu'à l'orée du Bois c'était un éclatement continuel car les obus tombaient l'un après l'autre.
Près de la ligne de feu nous rencontrâmes Salaverri qui commandait une pièce de mitrailleuse légère et qui était dans un état lamentable et mouillé, plein de boue et tremblant de froid. Je lui demandais comment étaient les positions, où je pourrais mettre les 15 hommes que j'amenais et il m'indiqua un endroit un peu en avant de sa pièce. Un trou était fait et nous y descendîmes, indiquant ensuite à chacun l'emplacement qu'il devait occuper.
Une fois tous installés, je m’adressais de nouveau à Salaverri pour savoir quelles forces se trouvaient devant nous. "Regarde, dit-il, je ne sais pas de quelle compagnie elles sont mais elles sont allemandes et devant toi il y a une mitrailleuse qui tire à faire peur et je te conseille de ne pas de montrer plus"
II serait inutile de vouloir raconter avec plus de réalisme ce qui suivit. Attaques pour avancer de vingt mètres et être immédiatement contre-attaqués par les Allemands et après une brève lutte, retrouver les positions premières Trois jours et trois nuits d’horreur, d'attente angoissée heure après heure, sous une canonnade terrible, avec seulement quelques minutes de sommeil agité, duquel nous sortions toujours en sursautant, l’horreur dans les yeux, et tout cela par une température de -20°.
Les quelques hommes qui en sortirent, ce fut par miracle. Un obus éclata à seulement deux mètres de l’endroit où Salaverri s’était plaqué au sol. La déflagration de l’air le souleva et les éclats lui volèrent autour du corps, lui causant seulement une petite blessure à l'épaule. Plus tard nous comptâmes les trous de sa capote, il y en avait 14. Lorsque la relève arriva, nous étions à bout de forces. Quelques heures de plus et il aurait été trop tard. Sur un effectif de 900 hommes, seuls 105 étaient sains et saufs. Plus de trois cents morts et près de cinq cents blessés. Notre Bataillon était anéanti. Et tout cela en seulement trois jours et trois nuits. Nous avions seulement une consolation : si la guerre se terminait assez rapidement, maintenant, nous ne retournerions plus au front.
Lorsque nous sortîmes du bois pour aborder la route, le Commandant était là. Comme il voyait un groupe de 17 hommes commandés par un Caporal-chef, il demanda à quelle compagnie elle appartenait. "Ce n’est pas un groupe mon Commandant, répond le Caporal-chef, ceci est ce qui reste de la 7ème Compagnie d’Infanterie du Bataillon".
SIMON baissa la tête et ne dit rien. Derrière venait la 6ème, avec 21 légionnaires, et ensuite, la 5ème avec 32. La plus nombreuse était celle des mitrailleuses légères, qui, avec le renfort de notre section, comptait 150 hommes avant le combat. Maintenant nous restions 44. Avec une infinie tristesse le Commandant regardait les restes de ce qui avait été le 2ème Bataillon la Légion Etrangère ; les ombres n'étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Nous marchions en trainant les pieds, couverts de boue : le visage pâle et décomposé. Quelques soldats des autres unités nous regardaient et savaient ce qui s’était passé, ils nous contemplaient comme si nous avions été des fantômes ».
Distinctions de Philippe Bolifraud : Chevalier de la Légion d'honneur - Croix de guerre avec 2 citations.
Citation de la Croix de la Légion d'honneur - J.O. du 10 juin 1945
Sous-Lieutenant de la 13° demi-brigade de la Légion Étrangère, jeune officier à l'idéal très élevé qui n'a eu de cesse de servir son pays et remplacer dans une unité combattante son frère tué à Bir-Hakeim. Arrivé depuis peu de jours au bataillon, à peine remis d'une maladie grave contractée sur le front d'Italie, s'est tout de suite imposé à ses hommes par son calme et son courage au feu. Ayant pris le commandement pendant dix jours d'un avant-poste particulièrement isolé dans la région de Saint-Hippolyte, avait fait preuve des plus belles qualités de chef. A été mortellement frappé, le 23 janvier 1945, à Illhausern (Alsace) alors qu'il se portait à la tête de sa section pour arrêter une contre-attaque ennemie - Avait déjà été cité.
Mémoire :
Crédit photo : Mme Marie-Pierre Pillet
Sources
Dossier Résistant au SHD de Vincennes (non consulté) : GR 16 P 68951
Livre Ouvert des Français Libres
Histoire des combats d' Illhaeusern et d'Elsenheim