Résistance du Havre- LE VAGABOND BIEN AIME

Remerciements à Corinne Ferrand, pour les précisions et photographies de son père, Maurice Lehaux et à Jean-Hugues Caillard pour la communication du Mémoire d'histoire de Rodrigue Serrano d'après lequel a été rédigé cet article

 

   Le groupement, à l’origine du Vagabond Bien Aimé – VBA, est créé officiellement en juillet ou septembre 1941 bien que ses activités débutent avant cette date.

Il prend le nom de VBA en 1942, en l’honneur de Tsiritch Svetislav, serbo-croate volontaire dans l’armée belge en 1914-1918, qui était depuis les années 20 garagiste à Sainte-Adresse. Selon leur journal de marche, il faisait partie du mouvement dès sa création, mais sans lui appartenir officiellement avant 1942.

 

Le groupement fut fondé par Louis Pellerin et Jean Langlois tel que le raconta Louis Pellerin à Serrano en 1999 : Louis Pellerin, 18 ans en 1941, travaillait aux Chantiers Augustin Normand. Passionné d’aéromodélisme, il avait exposé dans la vitrine de son père un Spitfire britannique attaquant un Messerschmit allemand, ce qui avait attiré l’attention de Jean Langlois, (qui lui, travaillait à la Poste). A cette époque, ce dernier avait tenté sans succès de prendre contact avec la France Libre. Cette rencontre initie leur volonté d’entrer en Résistance : ils sympathisent et recrutent un groupe d’amis venant de la section d’aéromodélisme de l’aviation populaire, à l’aéroclub de Bléville : Jean Denis, les frère Bernard et Maurice Lehaux (16 ans, le plus jeune du groupe) et leur sœur Andrée (qui fabriquera des cartes d’identité et des cartes de rationnement), ainsi que Louis Vaubouin, apprenti-imprimeur.

 

 

Un ami de Langlois, Paul Crochemore, qui possède un atelier de fabrication de radiateurs, connaît de son côté le garagiste Tsiritch ; il devient alors l’agent de liaison entre Langlois et Tsiritch. Tous les membres du réseau possèdent un nom de code ABV (Vagabond Bien Aimé à l’envers) + un chiffre : ABV 87 pour Langlois, ABV 23 pour Pellerin, ABV 21 pour Bernard Lehaux et ABV 22 pour son frère Maurice.

 

Tsiritch (Le Havre 44 à feu et à sang . Eddy Florentin)

Le groupe se spécialise dans la propagande et le sabotage occasionnel. Il a pour règle (comme le groupe Morpain ou l’Heure H) de ne pas tuer d’Allemands, afin de ne pas causer de représailles envers la population. Leur premier acte de sabotage en aout 1941 contre une ligne de télégraphe située à La Poste du Havre est un échec. Suivront en septembre plusieurs sabotages de lignes de téléphone, et nombre d’actions identiques jusqu’en janvier 1942 (journal de marche).

 

En octobre 1941, Jean Langlois, Bernard Lehaux et Fernand Lehaux qui vient de rejoindre le groupe et travaille lui aussi à La Poste , détournent le courrier destiné à la Kommandantur et préviennent les personnes compromises dans des lettres de dénonciation.

Le 11 novembre 1941, le groupe pose deux drapeaux- un français et un britannique, dans le carré militaire britannique du cimetière Sainte-Marie. Jean Langlois s’occupe du passage du courrier en zone libre, et le groupe se lance dans le Renseignement.

 

C’est en février 1942, lorsque le groupe rencontre Tsiritch, que ce dernier l’initie aux bases du sabotage, comme la poudre émérite dans les moteurs… selon le livre de Georges Godefroy, Tsiritch aurait constitué un dépôt d’armes avant de rencontrer les membres du Groupement.

Désormais la propagande du groupe sera signée Vagabond Bien Aimé. Il fait des paroles de Guynemer sa devise : « On a rien donné quand on a pas tout donné ».

Début 1942, le sabotage de lignes téléphoniques s’exerce à Saint Vigor et Montivilliers où 17 lignes de la gare sont sectionnées.

 

En mars le groupe est organisé : les ABV sont les membres fondateurs, tandis que les engagés ont un V + numéro pour code, et n’ont de contact qu’avec les chefs de leurs groupes et leurs équipiers. La moyenne d’âge au sein du groupe s’établit autour de 21 ans.

Ils distribuent des tracts reçus du consulat américain en zone libre ; la distribution de tracts devient leur activité principale. Imprimés chacun à 500 exemplaires, ils étaient distribués à la sortie des cinémas en centre-ville du Havre ou dans les boites aux lettres. Ils cherchent aussi le moyen de fabriquer des engins incendiaires à retardement et constituent des réserves de sel et de sucre pour saboter les véhicules allemands, ce qu’ils font activement à partir de mai 1942.

 

Les sorties de cinéma et de rencontres sportives étant de plus en plus surveillées par la police française, ils mettent au point un coffret de distribution à retardement de tracts ! A l’intérieur d’une boite en bois, la pile de tracts est posée sur une légère charge explosive, avec un détonateur relié à une minuterie.

Les 13 et 14 juillet 1942, le groupe déploie des drapeaux sur les différents monuments aux morts de la ville. Le 10 août, il teste avec succès le coffret à retardement, à la sortie des employés de la sous-préfecture.

 

Le 18 aout, VBA s’engage dans une vaste entreprise de sectionnement de cables à Harfleur, la Brèque, Rouelles et le Havre, afin d’isoler Le Havre. Cette opération, selon le dossier d’homologation du Groupe, aurait été en rapport avec le Raid sur Dieppe : Tsiritch étant en contact avec le membre d’une autre organisation de résistance au courant de l’opération sur Dieppe, qui lui aurait ainsi donné l’ordre de couper les communications des forces allemandes au Havre.

Les lignes furent effectivement coupées : 6 lignes à Sanvic par V 25 ; les lignes reliant les blockhaus d’Harfleur au commandement du Havre par Louis Vaubouin ; 3 lignes de la SNCF à la Breque par Louis Pellerin ; 4 lignes de liaison Le Havre-Rouelles-Montivilliers (central de transmission en direction de Paris) par Bernard Lehaux ; les lignes de transmission reliant l’état-major aux unités anti-aériennes du Havre, par Bernard Lehaux rue Louis Blanc ; les liaisons entre Sanvic et les blockhaus de Sainte-Adresse par Jean Langlois et le sabotage des liaisons de l’état -major à Aplemont par Maurice Lehaux. Repéré par des sentinelles, Maurice Lehaux se fait tirer dessus, son vélo est criblé d’impacts.

 

 

Le groupe se met au Renseignement : il constitue un plan du Havre en 40 parties découpées au papier millimétré sur lequel seront reporté les nouveaux ouvrages ou déplacements indiqués à Louis Pellerin par chaque membre. Le Plan ne servira pas mais il sera renseigné jusqu’en septembre 1944.

En octobre 1942 a lieu la seule attaque du groupe contre l’occupant, excepté les combats de la Libération. Rue Louis Blanc, il attaque à la grenade un cantonnement allemand et détruit plusieurs véhicules. Puis un dépôt de fourrage rue Audry, au cours duquel 22000 balles de foin et de fourrage sont détruites.

 

En novembre, le Vagabond Bien Aimé lance son journal Le Patriote, mis sous presse de nuit à l’imprimerie du père de Claude Baudouin, Bd Amiral Mouchez, et tiré à 600 exemplaires. Grâce à l’aide de vendeurs de journaux, il est glissé dans Le Petit Havre ou directement envoyés par La Poste.

Bien que le Groupe n’ait pu après-guerre être homologué comme réseau FFL, on notera son sentiment d’appartenance dans la mention du n° 2 « organe Français Libre ».

 

Une nouvelle opération de destruction de fourrage est programmée avec de nombreux membres du groupe répartis en trois équipes, en direction des gares de Saint Romain, Yvetot et Bréauté-Beuzeville, mais elle se solde par un échec.

 

Le 11 novembre 1942 est le jour de l’une des actions les plus spectaculaires du Vagabond Bien aimé et de la Résistance Havraise : Jean Langlois, avec l’aide de Louis Vaubouin, Jean Denis, Louis Pellerin, Bernard et Maurice Lehaux, grimpe sur le toit du Grand Théâtre au Havre et y place un système de minuterie qui déploie un drapeau à deux faces : le drapeau français et l’Union Jack. A l’heure précise le système déploie le drapeau, observé par des membres du Groupe…

Le 23 Novembre, Langlois est arrêté chez lui, il détient des documents compromettants mais il ne dit tien et le groupe ne sera pas inquiété.

Jean Denis (ABV 20) prend la tête du groupe, Louis Pellerin (ABV 23) qui se savait suivi, ayant dû se mettre au vert durant deux mois.

 

En décembre 1942 le n° 2 du Patriote sort à 450 exemplaires. Le groupe constitue une liste de collaborateurs afin de les poursuivre à la fin de la guerre.

Fin décembre, Tsiritch est officiellement intégré au groupe sous le code AVB 19. Avec Jean Denis (AVB 20), il lance le Patriote n° 3 et les distributions de tracts se poursuivent ; en revanche les actions de sabotage sont plus ponctuelles. Le 15 février 1943 sort le n° 4 du Patriote, tiré à 500 exemplaires.

 

A partir de mars 1943, des membres du groupe deviennent réfractaires au STO et se cachent pour échapper aux rafles. Certains comme Jean Denis, décident de rester au Havre.

En avril 1943, le VBA écrit à différents maires de la région, dont celui du Havre Pierre Courant, en leur demandant de créer des centres d’accueil pour les enfants du Havre. Le groupe n’attendait pas de résultat concret mais souhaitait ainsi démontrer son existence et sa capacité à agir comme il le voulait.

On cherche à identifier ce Vagabond, mais on n’arrive pas à lui mettre la main dessus ! Tsiritch et Denis sont à cette époque arrêtés par la Police française, mais très vite relâchés.

 

En 1943-1944, le groupe compte 17 hommes. Il est en contact avec Claude de Beaumont (Groupe U55) qui se charge de distribuer le journal Le Patriote sur Montivilliers  mais aussi dans la zone rouge du port et notamment chez Caillard.  Le responsable du Vagabond Bien Aimé était sur le port René Lenteigne*.

 

Les n°7, 8 et 9  du Patriote sortent en juin, juillet et aout 1943. Les tracts sont maintenant collés sur les bureaux de placement allemands et les panneaux des différents partis collaborationnistes.

VBA cherche un terrain d’atterrissage et de parachutage dans la région, mais sans succès devant les fortes concentrations de troupes allemandes dans le secteur du Havre.

 

Le 5 novembre, Tsiritch et Jean Denis décrochent des panneaux d’affichage du Front Social du Travail (organisation collaborationniste proche du Rassemblement national populaire de Marcel Déat), y collent le Patriote, remettent le panneau à sa place et le signent du nom du responsable de cette officine gouvernementale, Henri Offroy... ! Puis ils lui envoient une lettre, suivie d’une autre adressée à Pierre Laval, signée H. Offroy .

Le 11 novembre 1943, des drapeaux sont déployés sur les monuments aux morts de la ville, en évitant toutefois la Place Gambetta, trop surveillée.

Commence aussi la recherche d’armes et d’explosifs avec plus ou moins de succès selon le cas : des grenades sont volées à un poste de garde ennemi ; une tentative de dérober des armes rue Gillaume le Conquérant échoue, les membres ayant été repérés par des sentinelles.

Le Patriote n° 13 de décembre 1943 est tiré à 1200 exemplaires. En raison du succès du journal, 300 à 400 kilos de papiers sont dérobés au Petit Havre en janvier 1944 pour faire face à la pénurie de papier. Le n° 15 de février 1944 atteint 1200 exemplaires, celui de mars, 1300.

 

Le groupe essaie d’entrer en relation avec la France Libre et envoie une lettre en direction d’Alger. La BBC annoncera l’arrivée de ce courrier, mais qui ne fut pas suivie d’effet.

En revanche, le 8 mars 1944, Jean Denis entre en contact avec un réseau appartenant au BOA (Bureau des Opérations Aériennes) - créé en 1943 par le colonel Passy et destiné à armer les différents groupes dépendant du BCRA, les services de renseignement de la France Libre. Peut-être s’agissait-il du réseau Béarn - l’intermédiaire, Charles Loisel, organisa un rendez-vous avec le commandant Renaud, marchand de papier peint à Rouen.

Le soir de ce rendez-vous, après une altercation violente avec un inspecteur de police, Jean Denis est arrêté. Il sera relâché au bout d’un mois grâce à un contact au sein de la Police.

Mais le rattachement au BOA ne change en rien la situation du réseau : il ne recevra aucune arme provenant de parachutages.

 

VBA poursuit son action de propagande : en avril 1944, le Patriote n° 17 sort à 2000 exemplaires et fait l’objet d’une grande distribution à la sortie du cinéma Rex. Le communiqué du 18 juin 1944 est tiré à 1000 exemplaires.

Le groupe poursuit ces actions en délivrant aux Havrais des informations sur la véritable situation du front et s’engage dans une chasse aux collaborateurs et profiteurs du marché noir dont il publie la liste dans les colonnes du Patriote qui paraissent à l’été 1944. La parution de communiqués se fait à un rythme accéléré : 8 entre avril et mai.

Cette action de propagande connaît un succès important : certains Havrais qui guettent la parution du journal réclament une parution deux fois par mois. Les communiqués paraissent à une fréquence d’un par semaine ; le 5 août, le Patriote est tiré à 3000 exemplaires et le journal sortira jusqu’en septembre 1944.

 

En aout, Le groupe VBA dérobe 275 casques à la Défense passive, tout en adressant une lettre d’excuses à son Directeur… ce sont des casques de type Adrian, les mêmes casques que l’armée française avait en 1940 : une volonté de continuer dans les symboles pour ces descendants des combattants de la guerre 14-18. Ils créent un insigne et des brassards avec le nom du Vagagond Bien Aimé. Ils seront distribués aux FFI au moment de la Libération, de même que les casques, exception faite des FTP.

Le BOA ne lui en ayant pas fourni, le groupe manque toujours d’armes…

 

Début septembre 1944, le VBA dispose de 67 hommes qui se préparent au combat. Le 5 septembre, une quinzaine d’hommes rejoint le Grand Théâtre avec pour mission de protéger l’usine électrique que les Allemands pourraient faire sauter.

Mais le bombardement du 5 septembre atteint de plein fouet le Grand Théâtre, faisant 7 tués et 3 blessés ; Louis Pellerin (ABV 23) réussit à en en réchapper. Il participe avec 57 hommes aux combats de la Libération à Sainte-Adresse, aux Quatre-Chemins et au château des Tourelles.

 

Après la Libération du Havre, certains membres de VBA prirent un engagement dans l’armée pour combattre les Allemands en Alsace et en Allemagne.

Ce fut le cas par exemple de Maurice Lehaux : le 26 septembre 1944, il s’engage au 7e bataillon de Marche de Normandie jusqu’au 8 avril 1945, lorsqu’il passe au 21e Ric lors des combats sur les bords du Rhin. Il fut blessé au pied par balle explosive à Rastatt.

Ressources

 

La Résistance au Havre de 1940 à septembre 1944 1999  DEA Maitrise Université de Rouen, Rodrigue Serrano.

 

 * Jean-Hugues Caillard

 

Le Patriote (journal du Vagabond Bien Aimé) : Gallica