Bureau Central de Renseignement et d'Action (B.C.R.A)

A l’image de la France Libre, ses services spéciaux sont nés dans le dénuement et se sont peu à peu transformés en une puissante administration.

Ils sont créés en juillet 1940 par le capitaine Dewavrin, Passy, qui recrute d'abord des ralliés connus en Norvège, puis André Manuel, avec lequel il formera un tandem efficace. Le service est alors le 2e Bureau d'un maigre état-major constitué par le général de Gaulle pour diriger ses troupes. Il collecte des renseignements sur l'occupant et sur la situation en France, notamment pour aider à anticiper et à contrer toute tentative de débarquement allemand en Angle¬terre. Par la suite, les renseignements serviront à mettre au point les plans alliés de débarquement en France en vue de la reconquête du continent. Au cours de l'été 1940, grâce au soutien de l'Intelligence Service (IS), les premiers agents partent en Normandie (Maurice Duclos, Saint-Jacques, et Alexandre Beresnikoff, Corvisart), en Afrique du Nord (capitaine Puech-Samson, lieutenant Bazancourt, Jacques Guérin, lieutenant Ter Sarkissof et les opérateurs radio Jean Jouan, Papin et Edouard et André Nibelle), en zone occupée via l'Espagne (Gilbert Renault, ou Raymond, futur Rémy) ou en zone sud (Pierre Fourcaud). Chacun collecte des renseignements et établit des réseaux d'informateurs susceptibles de rassembler et transmettre un maximum d'informations. Le réseau créé par Raymond - la future Confrérie Notre-Dame - s'imposera comme l'archétype de ces réseaux de renseignement.

 

Le service Action. Dès 1940, Passy souhaite entreprendre une action de type militaire en France. Il doit pour cela vaincre l'opposition du général de Gaulle, celle de FIS, hostile au mélange des genres, et celle du Spécial Opérations Executive (SOE), le service britannique voué à l'action subversive, méfiant à l'égard des Français. Finalement, en juin 1941, un accord est conclu entre le service gaulliste, rebaptisé Service de renseignements (SR) en avril, et le SOE. Dès lors, une section Action, dont l'existence ne deviendra officielle qu'en octobre, est confiée à Raymond Lagier, Bienvenue, qui s'inscrit d'abord dans une logique d'agitation (actions spectaculaires de type « Savanna » ou « Joséphine B ») avant de prendre conscience que des groupes résistants se structurent en France et de s'orienter vers une logique de liaison avec ces mouvements. En mars 1942, la section Action est réorganisée : une section Action/Études et Coordination (A/EC) élabore les plans d'une vaste opération de sabotage qui sera déclenchée le jour J tandis qu'une section Action/Missions se charge de l'organisation pratique des missions.

Les activités du service se diversifient encore avec la mise sur pied d'une section Évasions, longtemps embryonnaire et, en décembre 1941, avec la création d'une section Contre-espionnage pour interroger les nouveaux venus et constituer un vaste fichier. En janvier 1942, le SR est rebaptisé « Bureau central de renseignements et d'action militaire » (BCRAM). Enfin, au cours de l'été 1942, après une dure bataille contre le commissariat national à l'Intérieur (CNI) et de Gaulle, le service prend sous sa responsabilité la mise en œuvre des missions politiques et se dote d'une section non militaire (NM) assurant la liaison avec le commissaire à l'Intérieur. Logiquement rebaptisé BCRA (l'exclusive militaire s'efface), il fait appliquer la pensée militaire du Général, traduite en ordres par son état-major particulier, et sa pensée politique, traduite en directives par le CNI.

 

Une place privilégiée. Le BCRA revendique une place privilégiée au sein de la France Libre au motif que l'action clandestine en France constitue le fer de lance du combat contre l'ennemi dès lors que la faiblesse de ses effectifs interdit au mouvement de peser sur les théâtres d'opérations traditionnels. Le service regrettera toujours de n'être pas soutenu en proportion de son apport à la cause. En définitive, la seule partie du travail a BCRA qui se prête à une évaluation relativement aisée est celle du renseignement. La progression du nombre de télégrammes comme du nombre a du volume des messages échangés avec les réseaux atteste d'un rendement exceptionnel. À la fin de la guerre, le général William Donovan, responsable des services secrets américains, confie à Roosevelt que le BCRA est à l'origine de 80% des renseignements utilisés pour préparer les plans du débarquement en Normandie.

Évaluer l'impact du BCRA en matière d'action militaire est plus délicat. Il est difficile de démêler, au moment du Débarque ment, l'impact des bombardements et le résultat du travail des résistants et dans ce dernier, ce qui relève des ordres du BCRA et d'initiatives locales.

Du moins l'existence des plans du BCRA permet-elle à de Gaulle de faire porter au crédit du Gouvernement provisoire de la République française l'essentiel des actions de la Résistance.

À Londres - puis à Alger le BCRA constitue l'un des points de contact majeurs entre la France Libre et les Alliés.

Dans ces conditions, il mène au nom du mouvement une véritable guérilla pour tenter de faire naître la France Libre comme le gardien de la souveraineté nationale.

L’existence, jusqu'en 1944, de sections françaises de l'IS et du SOE travaillant indépendamment de lui suffit à démontrer que ces efforts ne furent guère couronnés de succès.

Le succès est plus manifeste lorsque le BCRA s’applique à imposer l'autorité de l’Etat gaulliste aux résistants de l’intérieur. Sa maîtrise des services d’opérations et de transmissions assure à la France Libre une prééminence sur la Résistance intérieure s que les mouvements ne parviendront pas à lui contester, malgré leurs efforts pour entretenir des relations directes avec les Alliés, par exemple via la Suisse.

Malgré ses succès au service de la France Libre, le BCRA est critiqué à l'intérieur même du mouvement. Les responsables politiques et, partir de 1943, militaires lui reprochent sa propension à monopoliser ce qui relève de l'action en France et à se muer en État dans l'État. Dès qu'il sert efficacement les objectifs de la France Libre, le service est néanmoins soutenu par la plupart des responsables gaullistes et par le Général lui-même.

Ce soutien est conforté par les efforts déployés par les partisans du général Giraud pour accaparer le BCRA et l'action en France au moment de la fusion des services.

 

Sébastien ALBERTELLI

Dictionnaire de la France Libre

 

Bibliographie

  • Sébastien Albertelli, Les Services secrets du général de Gaulle. Le BCRA, 1940-1944, Perrin, 2009 •
  • Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France Libre, de l'appel du 18Juin à la Libération, Gallimard, 1996
  • Colonel Passy, Souvenirs, Monte-Carlo, R. Solar, 1947
  • Id., Mémoire du chef des services secrets de la France Libre, préface et notes de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Odile Jacob, 2000